Une soirée presque ordinaire à #Botzaris36

Le bâtiment situé au 36 rue Botzaris est quelque peu particulier : il est la propriété et le siège français du RCD, le parti dissous du dictateur déchu Ben Ali. En l’espèce il est donc une propriété privée tunisienne, ne bénéficiant pas des exception d’extraterritorialité comme les ambassades ou consulats, d’une entité tunisienne n’existant pas.

Depuis plusieurs semaines déjà il est occupé illégalement par près d’une centaine de réfugiés tunisiens qui ont été expulsés plusieurs fois et qui finalement ne cherchent qu’un lieu ou dormir en attendant leur régularisation éventuelle ou leur retour au pays. Après tout la Tunisie, pays plus de six fois inférieur à la France par sa démographie, accueille en ce moment 50.000 réfugiés libyens là où la France se plaint de quelques 10.000 tunisiens arrivés depuis la révolution, oubliant au passage le nombre considérable de ceux qui ont enfin pu rentrer chez eux.

Dans ce que certains surnomment la « chambre de Barbe Bleue », du fait que cette pièce était la seule interdite aux résidents de Bortzaris36, sont entreposés une quantité colossale de dossiers à propos aussi bien de tunisiens que de français complaisants avec le régime. Les caves aussi seraient remplies de ces dossiers qui sont aujourd’hui à peu près tout ce qui reste des archives après que tout ou presque ait été détruit en Tunisie au lendemain du départ de Ben Ali. Certains documents seraient déjà sortis, disparaissant dans des mains inconnues mais soucieuses souvent d’un seul dossier…

Dans la matinée du 16 juin, et suite à la mise en sûreté d’une grande quantité de documents, le 36 est à nouveau évacué à la demande de l’ambassade tunisienne et les migrants sont sur le trottoir sans aucun endroit où aller, rien à manger et avec leurs maigres effets personnels toujours à l’intérieur. Devant l’urgence de la situation une réunion express est organisée à quelques rues d’ici entre plusieurs activistes de la révolution tunisienne et des résidents du quartiers qui depuis le début couvrent de façon exemplaire tout ce qui se passe sur place, se substituant aux médias qui boudent l’affaire…

Après avoir discuté des documents, des gens, des médias, des solutions, des impasses, … pendant plus d’une heure nous prenons la direction de lieu de toutes nos inquiétudes. Quelques minutes après notre arrivée le dernier fourgon de police quitte les lieux, laissant les esprits s’échauffer côté tunisien qui pensent avoir perdu leurs effets personnels.

Très vite ceux-ci s’en prennent au bâtiment et y jette tout ce qui leur passe sous la main. Ceci ayant pour effet immédiat de faire revenir la police dont les effectifs ne vont cesser de grandir jusqu’à mon départ (et probablement après). Nous les approchons et négocions avec eux, les flashball finissent par disparaître au profit des boucliers. A aucun moment les tunisiens ne s’en prendront aux forces de l’ordre même lorsque ceux-ci iront beaucoup trop loin plus tard.

La négociation s’entamme alors entre quelques tunisiens, quelques activistes et les forces de l’ordre pour que les lieux soient vidés et que les tunisiens récupèrent leurs biens. Certains vont même préciser à grand renforts de détails où sont cachés telle veste, tel sac, …

En parallèle l’on apprend au téléphone (très peu d’élu ont fait le déplacement et aucun n’a levé le petit doigt) que la mairie de Paris qui n’a pu nous proposer que le gymnase rue de la Fontaine au Roi a oublié de nous préciser que celui-ci est complet et que par conséquent aucune solution n’est disponible pour héberger les réfugiés. C’est donc l’ambassade tunisienne qui a mis à la rue, avec la complicité des pouvoirs publics français, près d’une centaine de leurs ressortissants sans prévoir aucune solution de logement pour garantir la sécurité de documents compromettant pour tout ce beau monde…

L’évacuation des biens se poursuit ainsi pendant une grosse demi heure, la rue est barrée et un cordon de police nous maintient du côté opposé de la rue. La répartition se déroulera dans le calme, les biens appartenant aux absents sont toujours à l’heure où j’écris ces lignes sur la table de ping pong de plein air qui a servi à cet effet.

Le temps passe ainsi un certain temps, tout le monde discute, les policiers sont tendus ou amusés en fonction de si ils comprennent la situation ou non. Puis tous les policiers en civil, au bas mot une quinzaine, sont appelés à l’intérieur du bâtiment. Détail auquel nous ne prêterons que peu d’importance avant de réaliser pourquoi.

Entre temps nous négocions pour obtenir que les gardiens du lieu réitèrent l’opération menée plus tôt avec les affaires mais pour la nourriture présente dans les frigos. Demande qui sera acceptée mais qui se soldera par la récupération de la nourriture contenue dans un seul des frigos…

Plus d’une dizaine de minutes plus tard tous ces policiers en civil ressortent, formant une troupe massive et se déplaçant rapidement sur le trottoir côté 36 (nous sommes toujours maintenus du côté opposé qui donne sur le parc des Buttes Chaumont). Les tunisiens commencent à crier, en français : « c’est des RCDistes » et tous de courir pour voir ce qui se passe.

Je me joins à eux, accélère le pas et me retrouve bloqué par un policier en civil qui va se mettre dans mon passage et au lieu de répondre à ma question « vous n’êtes que des policiers français ou vous êtes accompagnés ? » va me bousculer assez fortement. Je lui explique alors la raison de ma venue, celle de ma question, et là il s’avère beaucoup mieux informé que ses collègues et m’intime de reculer. Bien entendu je ne le ferai pas mais le temps perdu ainsi m’a empêché de voir de qui il s’agissait. Les policiers lâcheront bien plus tard qu’il s’agit de personnes qui avaient « peur de sortir » en nous demandant « vous connaissez le principe d’une ambassade ? ».

Les mots fusent, les diplomaties des uns disparaissent bien vite face à la protection d’alliés potentiels de Ben Ali dans un lieu regorgeant de documents à leur propos par les autorités françaises qui par ailleurs sont bien moins efficaces à traiter décemment les réfugiés eux-même qui ne demandent qu’un lieu où passer la nuit.

Un peu avant 23 heures la relève arrive et les policiers avec qui nous avons passé la soirée sont remplacés par d’autres dont un que j’ai croisé il y a peu à la Bastille et qui semble me reconnaître quand mon regard rencontre le sien et que son visage se décompose…

Durant ces quelques heures passées sur place aucune des institutions (la mairie et la région), aucun des médias contactés (qui demanderont après les documents sans se soucier des personnes) ne répondra présent. A 23h, épuisé par la journée je décide de rentrer chez moi, à ce moment là les migrants étaient en train de s’installer pour passer la nuit dans la parc, avec le peu de nourriture négocié plus tôt et aucune certitude sur où ils seront demain…

Le 16/06/2011

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